Poème – Printemps 2004
Il y a une si grande main sur la fenêtre ouverte,
ombre de l’enclos des premiers pas,
_ ajournement du corps qui se lève,
elle soulève sa jupe entière devant le jeu opaque du vent.
poème
Poème – Printemps 2004
Il y a une si grande main sur la fenêtre ouverte,
ombre de l’enclos des premiers pas,
_ ajournement du corps qui se lève,
elle soulève sa jupe entière devant le jeu opaque du vent.
poème
Poème – Printemps 2004
Les noeuds de sa main d’infante sur l’avenir des crues,
l’érection des pistils par sa voix, par sa dérive,
on entrevoit sa tête végétale et on entend son rire de folle.
L’abandon en elle, couvre-feu.
à Lol. v. Stein
poème
Poème – Printemps 2004
Sa marche dans le visage insolent,
elle sait la visite du corps absent.
Sur l’éclat de la rive, sa vivante,
l’oiseau dans le nid musculeux,
le désir dans la tanière soustraite au lait,
elle attendait l’ouverture des douves.
poème
Poème – Printemps 2004
Il s’ouvre une partie noire du ciel
tandis qu’effondrée la pierre dans le désert des dingos
respire encore.
Bien loin de la terre rouge,
elle flotte au champ de colza
avec une main ballante dans le vent
elle respire encore
et passe la porte du bois.
Bien loin,
l’empreinte des doigts sur la roche
prie bleu pour le vestige des rivières,
et sur la couverture du gel,
respire encore
le loup qui pardonne à l’homme buvant à même la neige.
préface d’Yves Bonnefoy
Préface d’Yves Bonnefoy pour la publication de (avant l’hiver) des fenaisons, poèmes et dessins, aux éditions de L’Entretoise en 2003.
Quelle pourpre là-bas, du côté effondré du ciel!
La neige est donc venue cette nuit avec dans ses mains la couleur.
Tout ce qu’elle répand se nomme silence.
Adam et Eve passent sur le chemin, chaudement vêtus. Leurs pas ne font aucun bruit dans la neige qui couvre l’herbe.
Et la brume écarte pour eux de légers rideaux, c’est une salle parmi les arbres, puis c’en est une autre et une autre encore.
Un écureuil s’ébroue, de trop de lumière.
Personne n’est jamais venu dans ces bois, pas même celui qui donne nom et s’angoisse d’avoir donné nom et en meurt.
Dieu qui n’est plus que la neige.
Pour Juliette Fontaine, avec amitié, Y.B.
poème
Texte publié aux éditions de L’Entretoise en 2003, avec une préface d’Yves Bonnefoy – Texte accompagné de 5 séries de dessins, 2002.
Même ciel gris, mais l’écoute des sèves. Balbutiement des mains.
La solitude en regard de soi, jamais comme une blessure nette. Donne.
La brume révélatrice mais des chemins sans nom.
Continuer la marche les bras écartés au devant de l’aube. Vers la brume.
Maussade gris du ciel; contre-visage du jaune vif des bourgeons, Narcisse (dit-elle).
A la marche de l’hiver les fenaisons dernières, la clémence des eaux troublées. Et la crue des ombres.
La fenêtre ouverte sur la pluie. Délaissée la part lumineuse qui écrivait la route.
Aveugle muette demain tu te coucheras sur le chemin clôturé.
Ouvre l’aube, que tu frôle. Déploie les rives. Mords la terre vide.
De lumière n’es-tu capable, dans le jour qui s’accouche du ciel résonnant?
Recluse dans le corps, tu creuses les ramures. A l’entresol, tu ensevelis la noyade; éperdue, attente de l’aube.
Fourmillements des ressources de la nuit.
texte critique
Juliette Fontaine est une artiste prolixe : films, performances, poésie, installations, pièces sonores…Elle a participé à la revue Pandore depuis l’origine : dans le n°2 Worstward Ho / Cap au pire, pièce sonore écrite à partir d’extraits de Samuel Beckett.
Dés ce premier envoi, m’apparaissait de façon évidente la singularité de son travail : des pièces atypiques, un univers de violoncelle, de montages, de sons, et surtout une voix, extrêmement singulière. Une force sensuelle, physique, qui bien qu’avec un tout autre langage, pourrait évoquer la délicatesse, la rudesse et la présence d’une PJ Harvey dans ses Four-tracks demos.
L’ensemble de son travail dégage une énergie et une liberté que beaucoup de musiciens ou compositeurs avérés pourraient envier…et ce, à mon sens, pour deux raisons : un travail construit à une échelle beaucoup plus étendue, qui touche à la fois la musique, la littérature, le cinéma et les arts plastiques ; et une démarche qui se fonde toujours sur l’intime et le corps, qui ne se perd jamais dans l’abstraction ou dans une « image » de la musique.
Le sens de la respiration, du toucher, de l’instantané, du geste, sont très présents chez elle qui, après une longue formation de pianiste, fut plus tardivement violoncelliste, et en a gardé une approche extrêmement directe de l’instrument et du son. Un travail parfois à l’arraché, qui ne s’embarrasse pas de la technique ou du beau son. J’ai rapidement renoncé à mastériser ces enregistrements faits dans le jardin ou dans la cuisine, avec un souffle défiant toutes les lois de la prise de son, mais aussi avec l’urgence dans laquelle on ne perd pas une demi-heure à choisir un micro.
Depuis quatre ans, une relation intense a vu le jour entre cette artiste et la revue, et j’avais depuis longtemps déjà formé le projet de réaliser ce hors série, emblématique de Pandore : traverser et sentir clairement la « partie audible » de l’œuvre d’une artiste, entendre les tenants et les aboutissants d’un iceberg infiniment plus large. Voici des pièces qui existent toujours absolument par elles-mêmes, sans aucune concession, à la fois fragiles, risquées, intimes et singulières.
Thierry Fournier, avril 2003
texte
Les tentatives – Texte de Juliette Fontaine – 1999
tentative n°1
elle cache son visage dans ses mains pour disparaître du monde, et plus pour tenter de s’oublier elle-même, pour se soumettre à la disparition de l’existence de son être ancré dans le monde.
(tentative – échec – recommencement)
tentatives n°2
elle ferme à peine les paupières pour ne plus voir le monde devant elle ou plutôt, pour transformer la vision habituelle qu’elle ne supporte plus. elle tente de percevoir un monde nouveau devant elle, plus éloigné peut-être, par la mince fente de son regard, comme dans l’embrasure d’une porte.
(tentative – échec – recommencement)
tentative n°3
elle détourne son regard et rive ses yeux sur le sol, au loin. elle cherche à fixer une chose à terre, n’importe quoi, pourvu que ce soit une chose infime. elle trouve une petite pierre brune. elle la fixe intensément. ainsi, elle tente de se concentrer sur cette chose choisie, unique à ses yeux, et par cette concentration intense, elle tente d’atteindre l’oubli du monde et d’elle-même au sein du monde.
(tentative – échec – recommencement)
tentative n°4
elle décide de secouer sa tête horizontalement, inlassablement. le monde autour d’elle devient alors une image mouvante, instable, sans objet reconnaissable par l’oeil. sa tête tourne, jusqu’au malaise. la conscience du poids de son corps est bouleversée. on peut même dire que son corps n’est plus qu’une tête pivotante, douloureuse, alourdie d’un fort bourdonnement.
(tentative – échec – recommencement)
texte
« elle me dit… » 2 – Texte de Juliette Fontaine – 1999
1.
Elle me dit:
_ » l’errance n’est pas une promenade légère main un égarement, une perte de soi-même. on est à la recherche du lieu recevable, celui qui peut être habitable pour soi. exil parfois immobile, sans rapport avec la flânerie. exil comme imposé auquel tu succombes sans savoir pourquoi, jetée hors de toi-même. il ne conduit nulle part, mais tu vagabondes encore, avec persévérance ».
Elle regarde ses mains.
2.
Elle me dit:
_ » il y a une curieuse sensation de plaisir parfois dans l’errance, dans ce non-attachement, dans cette fluctuation permanente de l’être, dans le doute, car pourquoi finalement ne pas être heureuse dans l’incertitude? »
Elle cache un sourire sous ses mains.
3.
Elle me dit:
_ » n’es-tu pas devenue l’espace intermédiaire lui-même, la frontière où tu erres, en tentant toujours de relier les lieux du monde et le lieu de ton être, celui de l’intimité? pour accéder au lieu singulier et habitable, ne dérives-tu pas vers le dehors?… »
Elle repose ses mains sur ses genoux.
Elle ajoute:
– » et l’art de la fugue? »
Elle noue maintenant ses mains dans un mouvement très doux.
texte
« elle me dit… » 1 – Texte de Juliette Fontaine – 1999
elle est assise dans l’herbe sur le bord du chemin, et regarde la plaine qui s’éloigne. elle me dit:« je cherche une couleur inconnue, que ma mémoire ne pourrait pas définir ».
elle plonge sa main droite dans l’herbe touffue. elle me dit:« comment peut-on supporter le monde tel qu’il est fait? ».
elle caresse la terre et les herbes, d’un geste lent. elle me dit:« chaque jour, chaque chose que je fais doit m’être nécessaire. je tente aussi chaque jour d’économiser mes gestes pour préserver ma liberté de décider lesquels me semblent justes ».
elle tourne la tête vers moi, et me sourit. son visage est lumineux mais je remarque le froncement de sourcil habituel. elle me dit:« parfois je sens que je peux tomber d’une seconde à l’autre dans la folie; qu’elle peut devenir le dernier recours pour supporter la perception très aiguë que j’ai du monde; qu’elle serait le lit de repli de ma conscience déchirée ».
elle regarde maintenant sa main caressante au ras de la terre.
elle me dit encore:« écoute la musique, regarde la lumière jusqu’à l’épuisement, jusqu’à la confusion des sensations ».
d’un geste brusque et inattendu, elle remet sa main droite sur sa jambe pliée.