« elle me dit… » 2

texte

« elle me dit… » 2 – Texte de Juliette Fontaine – 1999

1.

Elle me dit:

_ » l’errance n’est pas une promenade légère main un égarement, une perte de soi-même. on est à la recherche du lieu recevable, celui qui peut être habitable pour soi. exil parfois immobile, sans rapport avec la flânerie. exil comme imposé auquel tu succombes sans savoir pourquoi, jetée hors de toi-même. il ne conduit nulle part, mais tu vagabondes encore, avec persévérance ».

Elle regarde ses mains.

2.

Elle me dit:

_ » il y a une curieuse sensation de plaisir parfois dans l’errance, dans ce non-attachement, dans cette fluctuation permanente de l’être, dans le doute, car pourquoi finalement ne pas être heureuse dans l’incertitude? »

Elle cache un sourire sous ses mains.

3.

Elle me dit:

_ » n’es-tu pas devenue l’espace intermédiaire lui-même, la frontière où tu erres, en tentant toujours de relier les lieux du monde et le lieu de ton être, celui de l’intimité? pour accéder au lieu singulier et habitable, ne dérives-tu pas vers le dehors?… »

Elle repose ses mains sur ses genoux.

Elle ajoute:

– » et l’art de la fugue? »

Elle noue maintenant ses mains dans un mouvement très doux.

« elle me dit… » 1

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« elle me dit… »  1 – Texte de Juliette Fontaine – 1999

elle est assise dans l’herbe sur le bord du chemin, et regarde la plaine qui s’éloigne. elle me dit:« je cherche une couleur inconnue, que ma mémoire ne pourrait pas définir ».

elle plonge sa main droite dans l’herbe touffue. elle me dit:« comment peut-on supporter le monde tel qu’il est fait? ».

elle caresse la terre et les herbes, d’un geste lent. elle me dit:« chaque jour, chaque chose que je fais doit m’être nécessaire. je tente aussi chaque jour d’économiser mes gestes pour préserver ma liberté de décider lesquels me semblent justes ».

elle tourne la tête vers moi, et me sourit. son visage est lumineux mais je remarque le froncement de sourcil habituel. elle me dit:« parfois je sens que je peux tomber d’une seconde à l’autre dans la folie; qu’elle peut devenir le dernier recours pour supporter la perception très aiguë que j’ai du monde; qu’elle serait le lit de repli de ma conscience déchirée ».

elle regarde maintenant sa main caressante au ras de la terre.

elle me dit encore:« écoute la musique, regarde la lumière jusqu’à l’épuisement, jusqu’à la confusion des sensations ».

d’un geste brusque et inattendu, elle remet sa main droite sur sa jambe pliée.